Analyses & Studies

Lettre Ă©conomique d'AEOI - Balance des paiements et remittances en AEOI

RĂ©digĂ© par SER de Nairobi et SE de l'AEOI ‱ PubliĂ© le 09 mars 2023

Retrouvez chaque mois cette lettre des actualitĂ©s Ă©conomiques, prĂ©parĂ©e par le service Ă©conomique rĂ©gional de Nairobi, les services Ă©conomiques d'Addis-Abeba, Tananarive, Dar Es Salam, Kampala et Khartoum, et les Ambassades de France au Rwanda et Ă  Djibouti.

La majeure partie des pays d’AEOI enregistrent des dĂ©ficits courants structurels en raison notamment d’un fort diffĂ©rentiel de valeur ajoutĂ©e entre leurs exportations et leurs importations. Pour assurer l’équilibre de leur balance des paiements, ces derniers sont grandement dĂ©pendants des transferts internationaux et plus particuliĂšrement des envois de fonds de la diaspora qui ont observĂ© une croissance significative sur la derniĂšre dĂ©cennie (+95 %). Conscient du rĂŽle crucial jouĂ© par ces derniers dans le dĂ©veloppement de leur Ă©conomie (lutte contre la pauvretĂ©, financement du secteur privĂ©, source de rĂ©serve, stabilisation du cycle Ă©conomique, dĂ©veloppement du capital humain, etc.), de nombreux pays ont mis en Ɠuvre des stratĂ©gies politiques visant Ă  accroitre les remittances.

Des déficits courants causés par un différentiel de valeur ajoutée dans les produits échangés et une dépendance aux matiÚres premiÚres importées

A l’exception de Djibouti, de l’ErythrĂ©e et du Soudan du Sud, les pays d’AEOI enregistrent des dĂ©ficits courants structurels. Sur la pĂ©riode 2010 - 2019, le dĂ©ficit courant de la rĂ©gion AEOI a avoisinĂ© -4,9 % du PIB. Sur cette pĂ©riode, les Seychelles et le Burundi ont enregistrĂ© les dĂ©ficits courants les plus Ă©levĂ©s de la zone, respectivement -16,0 % et -13,9 % de leur PIB en moyenne, tandis que l’ErythrĂ©e et Djibouti dĂ©gageaient des excĂ©dents respectifs de 12,3 % et 7,4 %.

Les dĂ©ficits courants de la rĂ©gion s’expliquent principalement par des dĂ©sĂ©quilibres de leur balance commerciale. Les pays de l’AEOI tendent Ă  exporter des matiĂšres premiĂšres brutes (denrĂ©es agricoles, pĂ©trole), les rendant, d’une part, dĂ©pendants de la volatilitĂ© des prix internationaux, et d’autre part, importateurs nets de produits Ă  plus forte valeur ajoutĂ©e (cf Lettres mensuelles de juin 2021 et septembre 2022). Des vulnĂ©rabilitĂ©s exacerbĂ©es par la rĂ©cente dĂ©gradation de la conjoncture Ă©conomique mondiale, imputable Ă  la crise sanitaire et Ă  la guerre en Ukraine. En 2020, les dĂ©ficits courants des pays de la zone se sont creusĂ©s Ă  -6,0 % du PIB en moyenne, sans amĂ©lioration prĂ©vue en 2023 selon le FMI (-6,1 %). Concernant la balance des services agrĂ©gĂ©e des pays de l’AEOI, cette derniĂšre est structurellement excĂ©dentaire (1,9 Mds USD en moyenne sur la dĂ©cennie 2010) tirĂ©e Ă  la hausse par le tourisme. En raison de la fermeture des frontiĂšres pendant la crise sanitaire et la perturbation des chaĂźnes de valeur, le solde commercial des services est nĂ©anmoins passĂ© en territoire dĂ©ficitaire en 2020 (-2,4 Mds USD, contre +3,7 Mds USD en 2019). Une dĂ©gradation significative qui se rĂ©sorbe progressivement Ă  mesure que le tourisme international reprend des couleurs (-1,6 Mds USD en 2021). Au dĂ©ficit de la balance commerciale s’ajoute le dĂ©ficit de la balance des revenus primaires[1], s’établissant Ă  -3,9 Mds USD en moyenne chaque annĂ©e entre 2010 et 2019.

Pour attĂ©nuer l’impact de leur solde commercial et de revenus primaires structurellement dĂ©ficitaires, les pays de la rĂ©gion peuvent compter sur leur balance des revenus secondaires, et plus particuliĂšrement les dons institutionnels et les envois de fonds de leur diaspora. Entre 2010 et 2019, les gouvernements et mĂ©nages de l’AEOI recevaient respectivement 4,42 Mds USD de dons et 4,37 Msd USD de remittances en moyenne chaque annĂ©e.

Les envois de fonds de la diaspora, pilier des Ă©conomies est-africaines

Les envois de fonds de la diaspora - ou remittances - reçus par les pays de la rĂ©gion AEOI ont augmentĂ© de maniĂšre significative au cours de la derniĂšre dĂ©cennie, passant de 4,4 Mds USD en 2010 Ă  8,6 Mds USD en 2020. Sur le plan gĂ©ographique, au niveau rĂ©gional, la majeure partie de ces remittances sont envoyĂ©es depuis les Etats-Unis (33 %), le Royaume-Uni (8,8 %) et la France (5,7 %)[2].

Les envois de fonds de la diaspora sont d’une importance capitale pour les pays de la rĂ©gion. En premier lieu, ils ont un impact significatif sur l’incidence de la pauvretĂ© et la sĂ©curitĂ© alimentaire. A titre d’illustration, en Somalie, la proportion de mĂ©nages bĂ©nĂ©ficiaires de remittances et vivant sous le seuil de pauvretĂ© est de 58 %, contre 71 % pour les mĂ©nages non-bĂ©nĂ©ficiaires. Ensuite, de par leur caractĂšre anticyclique, ils offrent un filet de protection sociale aux bĂ©nĂ©ficiaires et contribuent Ă  stabiliser le cycle Ă©conomique[3]. Les envois de fonds de la diaspora ont, par exemple, augmentĂ© dans la plupart des pays de la rĂ©gion pendant la crise de Covid-19, notamment au Rwanda (+7,7 % entre 2019 et 2020), au Kenya (+9,5 %), en Somalie (+10,1 %) et Ă  Madagascar (+21,5 %). Les envois de fonds sont d’autant plus importants qu’ils se rĂ©vĂšlent ĂȘtre une source de devises plus stable et durable que d'autres apports de capitaux, tels que les IDEs, la dette publique ou l'aide publique au dĂ©veloppement. Les remittances sont aussi un moyen de financement de l’économie. Nombre de pays de la rĂ©gion Ă©tant caractĂ©risĂ©s par des systĂšmes bancaires peu dĂ©veloppĂ©s et des marchĂ©s des capitaux balbutiants voire inexistants, les transferts de fonds de la diaspora s’inscrivent comme un vecteur important de financement du secteur privĂ©. Outre le capital physique, ces remittances contribuent au dĂ©veloppement du capital humain. Si elles sont en premier lieu utilisĂ©es pour assurer la subsistance des mĂ©nages bĂ©nĂ©ficiaires, une part notable est gĂ©nĂ©ralement allouĂ©e aux dĂ©penses d’éducation. Ces envois de fonds de la diaspora sont aussi susceptibles d’amĂ©liorer l’inclusion financiĂšre des pays bĂ©nĂ©ficiaires. Ces flux de revenus contribuent en effet Ă  augmenter la demande de services financiers dans les institutions financiĂšres pour stocker de maniĂšre sĂ©curisĂ©e ces derniers. Aussi, les remittances contribuent Ă  augmenter la solvabilitĂ© des mĂ©nages et la probabilitĂ© pour ces derniers d'obtenir des prĂȘts auprĂšs d'institutions financiĂšres. Enfin, ils sont une source de rĂ©serves importante. En 2021, les remittances nettes reçues en AEOI se sont Ă©levĂ©es Ă  11,2 Mds USD. Un montant comparable aux dotations des bailleurs multilatĂ©raux (15 Mds USD) et bien supĂ©rieur aux flux nets d’IDEs (6,4 Mds USD).

La rĂ©volution numĂ©rique et l’essor des services de mobile money ont jouĂ© un rĂŽle clĂ© dans le dĂ©veloppement des envois de fonds en AEOI, et ce pour trois raisons : (i) les services de mobile banking offrent des frais de transfert infĂ©rieurs Ă  ceux des acteurs traditionnels et font baisser les coĂ»ts de ces derniers en faisant marcher la concurrence ; (ii) ils ne nĂ©cessitent pas de compte bancaire ; (iii) les bĂ©nĂ©ficiaires n’ont pas besoin de se dĂ©placer Ă  un guichet pour rĂ©cupĂ©rer la somme envoyĂ©e. Si ce point peut paraĂźtre anecdotique, une Ă©tude du Guardian de 2015[4] rĂ©alisĂ©e au Burundi dĂ©voilait qu’il n’était pas rare que les populations soient contraintes de dĂ©penser plus de 20 USD en frais de transport pour retirer 100 USD. Les services de mobile money reprĂ©sentent donc un gain financier significatif pour les mĂ©nages des zones rurales isolĂ©es. Sans surprise, les pays qui bĂ©nĂ©ficiaient d’une forte couverture de la tĂ©lĂ©phonie mobile Ă  l’émergence des services de mobile money ont bĂ©nĂ©ficiĂ© d’une augmentation significative des envois de fonds de la diaspora.

Une part importante des remittances sont transfĂ©rĂ©es de maniĂšre informelle[5]. Concernant les pays de l’AEOI, plusieurs facteurs expliquent cette prĂ©dominance. PremiĂšrement, l’existence de taux de change parallĂšles dans plusieurs pays de la zone, notamment au Soudan, en ErythrĂ©e, en Ethiopie et au Burundi. Sachant que les transferts formels en devises Ă©trangĂšres sont gĂ©nĂ©ralement convertis en devise locale au taux de change officiel, la tentation pour la diaspora d’envoyer des fonds de maniĂšre informelle et de les faire ensuite convertir au taux de change parallĂšle est grande, en raison du gain de pouvoir d’achat local ainsi confĂ©rĂ© au destinataire. DeuxiĂšmement, le coĂ»t important des transferts formels. En 2021, d’aprĂšs les estimations de la Banque mondiale, le coĂ»t moyen des transferts en AEOI est de 8,6 %, nettement supĂ©rieur Ă  la moyenne mondiale (6,7 %), Ă  l’objectif fixĂ© par les pays du G8 (5 %) et l'objectif recommandĂ© par les Objectifs de dĂ©veloppement durable (3 %). Ce coĂ»t Ă©levĂ© a un impact significatif sur le volume de remittances envoyĂ©s. Dans un rapport de 2016, la Banque mondiale estimait qu’une rĂ©duction des frais de 2 Ă  5 % pourrait augmenter les flux de transferts de 50 Ă  70 %. Des disparitĂ©s importantes existent entre les pays de la rĂ©gion. Tandis que l’Ouganda (10,2 %) et le Rwanda (9,9 %) affichent les coĂ»ts de transfert des plus Ă©levĂ©s, les Comores (4,6 %) et l’Ethiopie (6,7 %) affichent les coĂ»ts les plus faibles. TroisiĂšmement, le statut d'immigration des membres de la diaspora. Les migrants en situation irrĂ©guliĂšre dans leur pays d’accueil ne sont pas en mesure d'envoyer de l'argent par les canaux formels pour la simple raison qu’ils ne disposent pas d'identification officielle, indispensable Ă  l’accĂšs aux services financiers formels. A titre d’exemple, la plupart des membres de la diaspora Ă©thiopienne rĂ©sidant au Moyen-Orient ou en Afrique sont contraints de procĂ©der Ă  des transferts informels en raison de leur statut d’immigration. Cette prĂ©dominance des envois informels prĂ©sente un coĂ»t important pour les pays concernĂ©s puisqu’elle prive les autoritĂ©s d’une rentrĂ©e de devises considĂ©rable et d’éventuelles recettes fiscales.

Le soutien de la diaspora aux Ă©conomies de la rĂ©gion AEOI ne se limite pas aux remittances. Si ces derniĂšres sont en effet privilĂ©giĂ©es dans les pays Ă  la gouvernance fragile, pour la simple raison que ces fonds sont envoyĂ©s directement aux mĂ©nages sans possibilitĂ© d’ĂȘtre gaspillĂ©s par les gouvernements, des pays comme le Rwanda et la Tanzanie sont parvenus Ă  capter et flĂ©cher les fonds de la diaspora pour le dĂ©veloppement Ă©conomique local par le biais de fonds d’investissement et d’instruments financiers (Diaspora bonds). Autre modĂšle de contribution plus contestable, l’ErythrĂ©e, qui prĂ©lĂšve une « Diaspora tax Â» auprĂšs de ses ressortissants Ă  l’étranger. Une contribution forcĂ©e, collectĂ©e avec des mĂ©thodes relevant de l’intimidation et du chantage, qui participe nĂ©anmoins de maniĂšre significative Ă  la survie du modĂšle Ă©conomique local.

Conscient de l’importance des contributions de la diaspora, de nombreux pays ont mis en Ɠuvre des stratĂ©gies politiques visant Ă  accroitre ces derniĂšres. C’est notamment le cas du Kenya qui, outre la crĂ©ation d’un ministĂšre de la Diaspora, mise sur des investissements importants dans le capital humain afin d’augmenter le nombre de Kenyans qualifiĂ©s travaillant Ă  l’étranger et ainsi les envois de fonds de ces derniers Ă  leur pays d’origine. Cette stratĂ©gie induit nĂ©anmoins une fuite des cerveaux vers l’étranger qui pourrait s’avĂ©rer prĂ©judiciable pour le dĂ©veloppement Ă©conomique du pays Ă  long terme.

 


[1] La balance des revenus recense les transactions effectuĂ©es entre rĂ©sidents et non-rĂ©sidents concernant la rĂ©munĂ©ration des facteurs de production (travail, capital...).

[2] Estimation du SER de Nairobi sur la base des derniĂšres informations disponibles : Kenya (2021), Ethiopie (2020), Ouganda (2020), Djibouti (2018), Burundi (2017), Rwanda (2016), Madagascar (2012), Somalie (2011).

[3] Si les bĂ©nĂ©fices sont nombreux, l’impact des remittances sur la croissance des pays bĂ©nĂ©ficiaires est sujet Ă  dĂ©bat parmi la communautĂ© scientifique. Ces derniers peuvent en effet gĂ©nĂ©rer une hausse de la demande sur les biens Ă©changeables, supĂ©rieure Ă  la capacitĂ© de production locale, qui entrainerait une hausse des importations et des pressions inflationnistes domestiques. L’apprĂ©ciation du taux de change rĂ©el – dĂ©coulant de (i) l’apprĂ©ciation du change nominal, consĂ©cutive Ă  la hausse des envois de devises de la diaspora et leur conversion en monnaie locale, et (ii) les pressions inflationnistes dĂ©coulant de la surchauffe de la capacitĂ© de production locale – rĂ©duirait alors la compĂ©titivitĂ© des industries nationales sur les marchĂ©s Ă©trangers par des exportations plus coĂ»teuses dĂ©gradant de facto la balance courante et la croissance Ă©conomique (OCDE, 2006). En somme, l’impact des remittances sur la croissance dĂ©pend de la structure des Ă©conomies bĂ©nĂ©ficiaires et de la maniĂšre dont elles sont utilisĂ©es par les mĂ©nages. D’aprĂšs une Ă©tude publiĂ©e en 2020, entre 2000 et 2014, les remittances en AEOI sembleraient nĂ©anmoins avoir eu un effet positif sur la croissance Ă©conomique des pays de la rĂ©gion.

[4] Sending cash home: mobile money is a gamechanger | Alix Murphy | The Guardian

[5] En 2003, au niveau mondial, la Banque mondiale estimait que les transferts informels reprĂ©sentaient entre 35 % et 250 % des flux enregistrĂ©s.

Vous trouverez l'intĂ©gralitĂ© de la publication mensuel via ce lien ou Ă  tĂ©lĂ©charger ici 

 

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